Toute vie n’a-t-elle pas l’étoffe d’un « roman d’apprentissage », comme on le disait à l’époque de Goethe ? Rares sont ceux écrits au féminin, à l’exception de L’Art de la joie de Goliarda Sapienza dont le visage me rappelle celui d’une autre sicilienne dont la photographie, rapportée de Taormine, m’accompagna durant des années comme une sorte de portrait imaginaire.
Études classiques au Lycée Stendhal de Grenoble jusqu’au baccalauréat. Nous étions en moyenne 40 élèves par classe, où l’ordre et la bonne humeur régnaient. La joie d’apprendre aussi, et la complicité entre filles. Nos fous rires contenus accompagnaient souvent la traversée des couloirs de ce bâtiment de belle allure, mais vétuste. Des amitiés solides s’y sont nouées, qui devaient perdurer bien au-delà des années de lycée.
Non moins austère, le Conservatoire de musique où je passais le plus clair de mon temps libre après avoir intégré la classe de violon de Flora Elphège. Ma passion pour la musique était alors assez forte pour m’avoir donné l’envie d’y consacrer ma vie, qui en a décidé tout autrement. Des études d’art dramatique, entreprises parallèlement, m’ont donné le goût de la scène, et de la langue bien dite. Ce qui m’a par la suite beaucoup servi.
Études supérieures de philosophie à l’université de Grenoble, et rédaction d’un mémoire de Maîtrise portant sur « Le thème du cachot en philosophie » où il était déjà beaucoup question des gnostiques. Préparation de l’agrégation tout en menant une vie de famille très tôt commencée, mais marquée par un divorce. Premier poste au Lycée Louise Michel de Grenoble en tant que Maîtresse auxiliaire d’abord, puis Professeur agrégée (1975).
Déménagement à Paris en 1979 afin de préparer un doctorat d’État dont Gilbert Durand avait accepté la direction, et qui sera soutenu à Grenoble en 1984 (mention très honorable avec félicitations). Le manuscrit de cette thèse de 1400 pages (Visions du Grand Œuvre en Extrême-Occident) sera par la suite réduit de moitié, et publié en 1993 sous le titre Philosophie de l’alchimie – Grand Œuvre et modernité. Ce furent là des années de recherches inoubliables dans la salle Labrouste de l’ancienne Bibliothèque Nationale dont les lampes bleutées, tôt allumées en hiver, donnaient à chaque lecteur le sentiment d’être à la fois très seul et chaleureusement entouré.
Publication de mes premiers textes dans la revue Traverses éditée par le Centre Georges Pompidou. J’y rencontre Marc et Huguette Le Bot, Michel de Certeau, Jean Baudrillard, dont les encouragements me sont alors précieux et qui deviendront des amis. Ce que j’apprends en tant que secrétaire de rédaction intérimaire de la revue me sera précieux pour la présentation de mes propres écrits. Lectrice aux Éditions philosophiques à la même époque, je me familiarise avec les pratiques éditoriales.
Nomination comme Maître de conférences à l’Université de Savoie (1980-1989), puis à Paris I-Sorbonne en tant que Professeur de Philosophie des religions (1990-2010). De toutes les religions, c’est le bouddhisme qui a davantage retenu mon attention en raison des défis qu’il lance à la pensée occidentale. Aussi mon enseignement à l’Institut d’Études Bouddhiques (IEB, ancienne UBE) a-t-il essentiellement porté depuis 2001 sur la possible acculturation du bouddhisme en Occident. J’ai également codirigé, avec Philippe Faure, la revue Connaissances des religions de 2000 à 2006.
Des années intenses donc, intellectuellement et socialement, mais les contraintes de la vie parisienne ont renforcé ma nostalgie pour les années d’apprentissages passées en province, et pour les marches dans la nature en compagnie de ma chienne Nadja. Peut-être n’ai-je ensuite tant voyagé que pour combler ce manque.