Ambassadeur
Appartient à une population nomade très particulière en raison du cosmopolitisme sélectif inspirant ses migrations qu’on ne peut dire saisonnières. Capable de s’éloigner de sa tribu d’origine pour camper plusieurs années durant dans un pays étranger, il y devient l’émissaire le plus respecté. Située dans un lieu dont le nom exerce son charme sur ceux qui en demeurent éloignés, l’ambassade donne à la sédentarité l’aura d’une vie nomade aventureuse mais raffinée. Comparable à la yourte mongole pour son confort et pour son isolement dans la steppe où s’affaire la multitude, elle est une sorte d’oasis sans dromadaires ni palmiers, un ilot préservé où il fait bon accoster quand on a le privilège d’y être convié.
Ce qu’y font les ambassadeurs qui s’y succèdent au fil des années demeure un secret bien gardé que Hans Holbein a tenté de percer, à l’heure même (1533) où le monde s’ouvrait à ce qu’il va désormais falloir nommer la « modernité ». À la pénible corvée de devoir faire allégeance à cette intruse mal éduquée, la vie d’ambassadeur permet semble-t-il d’échapper. Mais on s’interroge aujourd’hui encore sur le sens de ce que le peintre a voulu représenter. Rien ne semble en effet devoir inquiéter ces hommes, protégés par la splendeur de leurs atours et isolés du monde par les lourdes draperies recouvrant les murs de la pièce où ils sont fièrement campés. Rien, hormis cette énigme rampante qui se déforme et se tord à leurs pieds, indifférente à la Grandeur qu’elle vient ainsi défier.
Peut-être vaut-il mieux dès lors imaginer que les ambassadeurs ne font, en ces endroits feutrés, qu’exercer tout à loisir leurs talents de poètes pour le plus grand bien de l’humanité, et y rêver d’une immortalité que personne ne viendra leur disputer, à l’image des sages taoïstes nichant incognito dans les montagnes célestes où nul ne saurait venir troubler leur sérénité.
Article inédit du Petit dictionnaire de la vie nomade dédié à un ami ambassadeur.
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