« Grands astreignants » (René Char) : ceux (et celles) qui vous contraignent à moins de médiocrité, et vous montrent la voie d’une vie plus dense et plus pure.
Homère : Pour son regard sur l’humanité, clairvoyant et compassionné, et parce que l’Iliade et l’Odyssée sont les deux « grands récits » fondateurs qu’on peut toujours relire quand on est las de la postmodernité. Grâce soit aussi rendue à Homère de m’avoir permis de m’émerveiller devant ce qui, dans certains paysages grecs, demeure aujourd’hui encore « homérique ».
Marc-Aurèle : Pour sa voix, où se mêlent mansuétude et rectitude ; et pour m’avoir transmis la certitude qu’on doit en toutes circonstances s’efforcer de garder sa sérénité. Le compagnon des mauvais jours, depuis tant presque toujours.
Maître Eckhart : Pour avoir été le plus « oriental » des mystiques chrétiens, jetant pour la première fois un pont entre détachement serein (Gelassenheit) et vacuité (sûnyatâ). Le plus audacieux aussi lorsqu’il invite l’homme à se rendre « libre de Dieu » pour permettre à la déité (Gottheit) de naître dans son âme.
Baudelaire : Pour son regard très distancé sur la modernité, et son art de vivre poétiquement à l’écart des foules.
Søren Kierkegaard : Pour m’avoir donné l’envie de traverser la lande du Jutland en hiver avec l’espoir d’y entendre le cri du coq de bruyère, et de vraiment comprendre ce qu’est l’Individualité.
Friedrich Nietzsche : Pour sa lucidité, doublée d’intrépidité ; et pour m’avoir montré le chemin de Sils Maria, hiver comme été.
Rainer Maria Rilke : Pour avoir mis l’homme occidental en garde contre les dangers d’une vie sans ferveur ni intériorité.
Simone Weil : Pour son écriture d’écolière appliquée, la limpidité de sa pensée, et la difficulté à cheminer dans la voie de justice et de vérité qu’elle a tracée.
André Malraux : Pour avoir vu dans le « Musée imaginaire » le dernier sursaut de l’humanité moderne en quête de spiritualité.
Antonin Artaud : Pour toutes les facettes de son génie : éclat sans pareil du verbe poétique, intuitions fulgurantes, courage à toute épreuve ; et pour avoir payé le prix, exorbitant, de son combat sans merci contre tous les trafiquants d’absolu.
Carl Gustav Jung : Pour avoir été un « homme d’Œuvre » capable de tout transformer : les êtres, la pierre, le rapport au sacré.
Martin Heidegger : Pour une certaine idée du travail d’ « atelier » : un défi philosophique à relever.
Ernst Jünger : Pour son regard visionnaire et souverain, et pour avoir été l’auteur d’un des plus grands livres du XX° siècle (Sur les falaises de marbre), d’une troublante actualité.
Albert Camus : Pour avoir parlé comme nul autre du « tragique solaire » méditerranéen et avoir écrit Noces, que je ne peux relire sans l’émotion du premier jour : « Vivre, bien sûr, c’est un peu le contraire d’exprimer. Si j’en crois les grands maîtres toscans, c’est témoigner trois fois, dans le silence, la flamme et l’immobilité. »
Gilbert Durand : Pour sa vaillance, et son infatigable curiosité à l’endroit de tous les témoignages d’humanité : rites, mythes, symboles, œuvres d’art et de pensée.